Ça fait près d’une semaine que j’ai terminé Rêves de garçons de Laura Kasischke. Je ne lis plus beaucoup, je lisais beaucoup avant les enfants, je lisais même en accouchant, un livre jeunesse pour ma fille, un livre à l’eau de rose pour mon fils, alors que je croyais avoir choisi un livre historico-érotique espagnol.
Quand j’allaitais ma fille de quelques semaines, de quelques mois, je lisais aussi beaucoup, des chicanes de parents sur des sites web, le nouveau Christine Angot, whatever. Ma fille s’endormait dans mes bras, toutes ses siestes ou presque, je la gardais comme ça, dans mes bras, je lisais La Presse, des poèmes de D. Kimm ou Kelle Hampton.
Depuis que mon fils est né, je lis moins. J’ai des titres de livres à commander, des piles de Vanity Fair feuilletés, sous la lumière de ma lampe de chevet.
Je lis moins, je ne me cherche pas d’excuse, j’écoute trop la télévision, je converse sur le placenta d’une amie sur Facebook, je me vernis les ongles en parlant de frais d’orthodontie et de la couleur des feuilles avec mon chéri.
Je lis moins, mais je relis, de plus en plus, des livres que j’ai aimés, mais dont je ne me souviens pas d’autre chose que ça, je les ai aimés.
J’ai une mémoire pourrie, pour les résumés, pour les noms de personnages.
Enfin. Je relis. Et depuis deux jours, je relis Les trois modes de conservation des viandes. C’est un libraire de la librairie Raffin, sur St-Hubert, qui m’avait dit que c’était son Moutier préféré. Ça m’avait donné envie de le relire, mais je ne le trouvais plus dans ma bibliothèque, avant la semaine dernière, quand j’ai cherché, alors que les enfants démollissaient la chambre de leur grande soeur d’onze ans.
“Une fois, tout bonnement, je ne sais plus ce que nous faisions, ni là où nous avions décidé d’aller, elle m’a expliqué, au moment où elle me parlait de sa mère, que nous ne devions rien à nos parents. Elle a ajouté que ce que nous recevons de nos parents, c’est à nous de le redonner ensuite à nos enfants. Ils auront à leur tour le devoir de le passer à leurs propres enfants. Comme de simples bornes à relais. Nous ne devons rien attendre d’eux, aucune reconnaissance, aucun merci. C’est du domaine du gratuit. Ce qu’un parent doit donner à ses enfants prend ainsi l’allure d’un témoin qui se passe, et non pas celle d’un ascenceur qui revient. Un ascenceur dont on attendrait le retour, jusqu’à l’hospice.
J’aime tellement ma femme que, quand elle parle ainsi, dans ces moments forts, et que je l’écoute, docile et muet, seul un sac de glaces peut me soulager. Au moment où elle place “Je t’aime, ça fait mal.”, le dos tourné, emmitouflée dans les couvertures, comme si c’était aussi une malédiction de m’aimer, je n’ai pas de meilleure sagesse que de me taire. Et je me tais.”
Les trois modes de conservation des viandes, Maxime-Olivier Moutier